Une boisson «rafraîchissante» fait fureur au Japon
Par Amy Chozick in " The Wall Street Journal "
TOKYO - Ayant besoin d'un petit remontant après une dure journée de magasinage, Hirae Nagisa décide de faire le plein d'oxygène.
Accompagnée de sa soeur, Mme Nagisa se perche sur un banc situé dans le quartier bondé de Shibuya, l'épicentre de la culture juvénile du Japon, et sirote une boisson qui ressemble à de l'eau embouteillée. Mais attention, il ne s'agit d'eau conventionnelle: ce nouveau mélange contient de 12 à 15 fois plus d'oxygène qu'une eau normale.
«C'est totalement différent et délicieux!, lance Mme Nagisa, une étudiante en design de mode âgé de 23 ans. Cette eau me procurera une peau tonifiée et veloutée.»
L'eau embouteillée enrichie d'oxygène fait actuellement fureur sur le marché japonais surchargé des boissons. Présentée comme un produit bénéfique pour la santé et énergisant aux propriétés hydratantes supérieures à celles d'une eau normale, l'eau enrichie d'oxygène - contenant plus d'oxygène dissous sous haute pression - est la dernière lubie en date des Japonais. Hommes d'affaires stressés ou adolescents, tous souhaitent bénéficier de cette «potion magique».
L'engouement offre un aperçu de l'approche radicalement différente des Japonais en ce qui a trait à la fabrication et à la commercialisation des boissons. Alors qu'aux États-Unis, les fabricants de boissons gazeuses réalisent d'ordinaire des études de marché s'échelonnant sur plusieurs années avant de commercialiser un produit, les fabricants japonais effectuent en revanche peu d'études de marché et préfèrent empiler les nouvelles variétés de boissons sur les rayons des magasins et attendre les résultats.
Ainsi, près de 1 000 nouvelles boissons sont lancées chaque année, faisant du marché japonais des boissons le marché le plus encombré de la planète. Les boissons qui font fureur s'y vendent à un rythme pouvant atteindre un demi milliard de canettes par année, alors que les perdantes disparaissent des tablettes en l'espace de quelques semaines. L'approche a hissé le Japon au rang des meilleurs sites d'essai de l'industrie des boissons au monde, révèle Gary Hemphill, directeur général de Beverage Marketing Corp., à New York.
Survivants
À peine trois nouvelles boissons réussissent à se tailler une place sur les rayons des quelque 40 000 dépanneurs et au sein des six millions de distributrices automatiques du pays chaque année. Celles qui survivent tentent alors de rééditer l'exploit au sein des autres marchés asiatiques, de même qu'aux États-Unis et en Europe.
Quelques boissons japonaises - notamment le café en canette et le thé glacé embouteillé - sont devenues de véritables produits de base à l'échelle planétaire. Lipton, propriété d'Unilever PLC, offre désormais aux consommateurs américains du «thé blanc» embouteillé, une version plus légère du populaire thé japonais qui contient, dit-on, plus d'antioxydants que le thé régulier.
Et les jeunes dans la vingtaine en Corée, à Taiwan et en Chine vouent un véritable culte au produit Qoo - une boisson mousseuse aussi sucrée qu'un soda mais non gazéifiée fabriquée par Coca-Cola (Japan) Ltd. et ciblant les enfants. À leur avis, le personnage de bande dessinée aux tons pastel enjolivant l'emballage est vraiment cool.
Mais certaines vagues de succès japonaises peinent à déferler outre-mer. À titre d'exemple, le thé vert glacé Ito En Inc. jouit d'une forte popularité au Japon, mais les consommateurs américains n'apprécient pas son goût amer, révèlent les analystes.
Des échecs
Et bon nombre de boissons connaissent un échec retentissant même au Japon. Il y a dix ans, un thé oolong, concocté à partir d'extraits de champignons et conçu pour enrayer la mauvaise haleine, faisait rage au pays du soleil levant. Il a depuis disparu des tablettes des magasins.
Les eaux enrichies d'oxygène se sont extrêmement bien vendues au Japon depuis leur commercialisation cet été, déclarent les fabricants. Asahi Soft Drinks Co., filiale d'Asahi Breweries Ltd., a mis sur le marché son eau Super H20 en mars 2005. Depuis lors, l'entreprise en a vendu quelque 300 millions de bouteilles. Et Suntory Ltd., qui embouteille et distribue les produits PepsiCo Inc. au Japon, a lancé Oxygen New Breath, une eau pétillante citronnée enrichie d'oxygène. Depuis sa commercialisation en juin, plus de six millions de bouteilles ont trouvé preneur. Ces eaux sont disponibles en versions gazéifiées ou non gazéifiées; les boissons non aromatisées ont le goût d'une eau normale.
Cette tendance est largement attribuable aux bars à oxygène - ces élégants endroits à l'image de centres de bien-être où la clientèle peut inhaler de l'oxygène aromatisé à fort prix - qui ont poussé comme des champignons à Tokyo et dans les plus grandes villes de la planète au cours des cinq dernières années. «Il s'agit d'un véritable boom. Les gens délient les cordons de leur bourse afin d'inhaler davantage d'oxygène», dit Yumi Takagi, porte-parole de Suntory.
Aux dires des scientifiques, boire de l'oxygène ne s'avère pas aussi bénéfique pour la santé que respirer de l'oxygène.
Oxygène: il vaut mieux la respirer
Lorsque l'oxygène est inhalé, il se propage rapidement dans le sang via les poumons. Lorsqu'on boit de l'oxygène, il prend alors le chemin des intestins, qui ne sont pas aussi efficaces que les poumons pour propager rapidement l'oxygène dans le sang. (Les eaux enrichies d'oxygène sont aussi susceptibles de causer des rots que les boissons gazeuses.)
Koji Ishida, professeur en sciences de la santé à l'Université Nagoya du Japon méridional, a étudié la fréquence cardiaque et l'endurance d'un groupe d'étudiants ayant bu de l'eau enrichie d'oxygène tout en s'adonnant à des exercices physiques. Résultat: l'effet s'est avéré nul. Naomi Takagi, analyste de l'industrie des boissons pour J.P. Morgan à Tokyo, souligne que le prix de l'eau enrichie d'oxygène - qui est environ le double de celui de l'eau minérale régulière embouteillée - est beaucoup trop élevé. «L'eau enrichie d'oxygène n'est qu'une mode passagère», dit Mme Takagi.
Des signes précurseurs laissent déjà présager l'essoufflement de cette tendance. Cet été, Seven & I Holdings a vendu en moyenne 20 bouteilles d'eau enrichie d'oxygène par jour au sein de ses 11 000 magasins. L'entreprise en vend maintenant la moitié moins.