Gard au Japon
A Nîmes, un festival présente une sélection transgenres inédite de la création nippone contemporaine, mêlant culture populaire et avant-garde.
Par Marie LECHNER
QUOTIDIEN " Libération": mardi 24 avril 2007
L'Expérience japonaise du 24 au 28 avril au Théâtre de Nîmes (30). Rens. : 04 66 36 65 00 et www.sonore.com
Jusqu'à la fin de la semaine, Nîmes se fait capitale du «monde flottant», accueillant un éventail savoureux et insolite de la scène artistique japonaise contemporaine, qui devrait ravir les nipponphiles avertis et esprits curieux. «Pour le public nîmois, l'Expérience japonaise est composée de 100 % de découvertes», assure Franck Stofer, du label Sonore, tête chercheuse qui s'applique depuis 1998 à promouvoir en France une scène musicale méconnue.
A la fin des années 90, il organise des tournées pour les mythiques Ruins et Acid Mothers Temple, pilote un ouvrage collectif de référence, Japanese Independent Music, et édite des disques de musiciens comme Yuko Nexus6, Satoru Wono ou Satanicpornocultshop. En 2003, Stofer ouvre une antenne à Tokyo pour «s'investir dans cette scène locale et ne pas être un simple observateur lointain et illuminé». Sonore, dont le siège est à Montpellier, devient une agence culturelle qui étend son champ à d'autres pratiques, comme la danse, les arts médias, avec pour ambition de jeter un pont entre l'Europe et le Japon. «Aujourd'hui en France, incompréhensions, amalgames et préjugés vis-à-vis de la culture japonaise sont à la base de cette fascination teintée d'exotisme. Soit on adopte en bloc et de manière irrationnelle cet ersatz culturel d'importation, soit on rejette systématiquement toutes les propositions en mettant en doute leur validité artistique», déplore Stofer.
Avec la complicité du Théâtre de Nîmes et de sa directrice artistique, Macha Makeïeff, Sonore a concocté une programmation inédite et décoiffante de concerts, performances néo-dada, chansons décalées et danses hallucinées, avec une quarantaine d'artistes aux personnalités attachantes et excentriques.
L'étrange caravane compte dans ses rangs une «Veuve moustachue», éplorée et fantasque, incarnée par Kishino Yuichi, amuseur public transgenres, musicien, acteur de cinéma, critique et enseignant à la Tokyo University of Fine Arts and Music, irrésistible dans son tour de chant tragi-comique, en robe noire, petit chapeau et voilette de deuil. Kishino Yuichi partagera l'affiche avec Himitsu Hakase, sublime crooner rock à paillettes permanenté qui reprend les standards seventies de la chanson populaire japonaise.
Mécatronique. Précédant le duo, il y aura un show mécatronique mené tambour battant par les employés en uniforme bleu ciel de la firme musicale Maywa Denki (aussi célèbre au Japon que Sony), sous la direction du bonimenteur en chef Nobumichi Tosa. Le luthier farfelu fera des démonstrations de ses prototypes d'instruments loufoques : pachi-moku (sorte de marimba actionnée par claquements des doigts), saxo à klaxons, orchestre de guitares automatiques, robots chanteurs aux poumons de papier, souliers à claquettes mécaniques...
Dans leur sillage, on notera encore toute une ménagerie à poils longs, avec Jon («Le Chien») qui fredonne des chansonnettes burlesques en s'accompagnant à l'harmonium, ou les mutants mi-hommes, mi-peluches du trio toy-pop Applehead, emmené par la candide chanteuse Mayutan. Pendant ce temps, le batteur VJ Doravideo (clin d'oeil au personnage de BD Doraemon, chat robot bleu qui sort de sa poche des inventions) remixe films d'entreprises, de kung-fu, de musique contemporaine ou d'actualités à coups de baguettes sur sa batterie truffée de capteurs.
A ne pas manquer, le duo Hifana et son hip-hop joyeux mâtiné de sons ethniques, ou l'instrumentiste Michiyo Yagi (qui a enseigné avec John Cage), joueuse de koto, instrument traditionnel à cordes pincées.
Décoincé. L'Expérience japonaise reflète, en fait, cette approche décoincée de la création nippone, naviguant entre cabaret néo-dada, show grand guignol et raffinement extrême-oriental, high-tech et rétrofuturisme, musique électronique expérimentale et easy listening acidulé.
Cette circulation entre les disciplines, entre le populaire et l'avant-garde, est l'une des caractéristiques des artistes rassemblés par Sonore. «Ce mouvement de va-et-vient produit une formidable énergie qui alimente réciproquement les deux extrêmes , estime Franck Stofer. Un artiste très connu qui illustre ce phénomène, c'est Ryuichi Sakamoto, qui se permet les pires âneries à la télé japonaise et qui joue avec Fennesz ou Carsten Nicolaï. Satoru Wono compose des albums très pointus de musique électronique, ce qui ne l'empêche pas de se déguiser en organiste afro dans les shows de Maywa Denki.» Satoru Wono présentera à l'occasion du festival une oeuvre électronique originale sur le film muet Une page folle, trésor caché du cinéma japonais des années 20.