Dans leur métier tout comme dans leur vie privée, nombre de Japonais se rendent compte aujourd'hui de la magie de l'ancien calendrier. Ce qui traduit aussi un désir d'être plus près de la nature et de vivre autrement.
Dans le quartier des boutiques branchées de Jiyugaoka, à Tokyo, un magasin à la mode vend des produits ethniques venant d'Asie. En cette fin de semaine d'hiver, de jeunes couples et des clients étrangers y choisissent des vêtements et de petits objets d'usage courant. Ce magasin en vogue auprès de la jeunesse, The Cenozoic, possède une stratégie commerciale dont le mot clé est le calendrier lunaire.
En mars 2001, Mikio Kagami (49 ans), un de ses directeurs, annonçait aux cinq acheteurs présents à la réunion : "Jusqu'à la fin du mois de juillet, il ne faut pas arrêter le réassortiment des articles d'été." Le mois de juillet marque le début des soldes d'été. Dans la profession, continuer l'approvisionnement à cette période de l'année est contraire au bon sens. Mais M. Kagami était sûr de lui."Cette année [selon le calendrier ancien], un mois supplémentaire s'intercale en été, ce qui signifie un long été." Et, en effet, l'été 2001 a atteint des records de chaleur, et les vêtements d'été ont continué à bien se vendre même en août [dans l'archipel, la chaleur persiste souvent en septembre]. Dans un secteur où l'on s'efforce autant que possible de maintenir les résultats de l'année précédente [en raison de la récession], le chiffre d'affaires de The Cenozoic a progressé de 10 % au premier semestre 2001 [l'année fiscale au Japon commence en avril].
MER CALME LE SEPTIÈME JOUR DE L'ANCIEN CALENDRIER
M. Kagami a toujours sous la main son tableau de correspondance entre l'ancien et le nouveau calendrier, et ce à cause de la douloureuse expérience qu'il a connue il y a six ans. Cette année-là aussi, l'été fut long et chaud. Quand le mois d'août allait toucher à sa fin, son stock d'articles d'été était déjà presque épuisé, tandis que les ventes de la collection automne-hiver, qu'il avait exposée en avance, ne démarraient pas comme prévu. Chose curieuse : même en août, un concurrent voisin continuait à se réapprovisionner en articles d'été. M. Kagami apprit par la suite qu'il s'était référé au calendrier lunaire.
Dans le détroit de Naruto, au large de Tokushima [à l'est de l'île de Shikoku], le vent glacial souffle en ces jours qui suivent le solstice d'hiver. Toshi Choi (46 ans) y effectue la tournée de sa "piscine" de culture d'algues [wakame ou Undaria pinnatifida]. Alors que les zones des autres aquaculteurs se trouvent près des côtes, M. Choi est le seul à tendre ses "filets" au beau milieu du détroit. Il sait que plus les courants marins sont rapides, mieux ces algues se développent. Cet endroit, où au début du printemps les courants atteignent plus de 20 kilomètres/heure, constitue l'emplacement idéal, même si le travail est loin d'être facile.
C'est en s'en remettant entièrement au calendrier lunaire que M. Choi défie cette mer dont "les courants vous cernent comme un mur" en raison de la forte amplitude des marées, avec un petit bateau d'à peine 10 mètres de long. Autrefois, en interprétant mal les marées, il lui arrivait de manquer faire naufrage en étant happé par un tourbillon violent alors qu'il récoltait ses algues. Sa rencontre avec l'ancien calendrier remonte à il y a huit ans. Un jour, l'homme le plus âgé de son village lui a dit : "Aujourd'hui, c'est la marée du septième jour : la récolte a dû être bonne." Il s'est aperçu après vérification que le septième jour du calendrier lunaire tombait entre deux grandes marées, un jour où la mer était calme.
L'an dernier, M. Choi a choisi une variété précoce de wakame afin de démarrer tôt sa reproduction. Il estimait que, s'il ne livrait pas rapidement, il ne gagnerait pas d'argent, car le printemps était constitué de quatre mois au lieu de trois, ce qui allonge la période des récoltes, avec un risque d'écroulement des prix du wakame sur le marché, dû à son abondance. Les cours ont chuté à la moitié de la valeur des autres années, mais, comme il a pu livrer ses algues tôt dans la saison, il a tout vendu au triple du prix.
http://www.courrierinternational.com/article.asp?obj_id=10993