Le phénomène "otaku" touche à leur tour les Japonaises.09:47 18/03/2008 Reuters
Des serveurs vêtus d'uniformes de collégien et de professeur, au café Edelstein à Tokyo, lieu-phare des nouvelles formes de la génération Otaku. Cet univers fermé de jeunes monomaniaques, passionnés de jeux vidéos, de mangas ou d'animations compte de plus en plus de jeunes filles. Photo prise le 29 janvier 2008/REUTERS/Toru Hanai
Tokyo. Café Edelstein. Ambiance de pensionnat pour garçons. Les serveurs efféminés aux mains manucurées portent des uniformes de collégiens. La clientèle est quasi exclusivement féminine. L'établissement est un lieu-phare des nouvelles formes de la génération Otaku.
Le phénomène n'est pas récent. Depuis les années 1990, les essais sociologiques se sont multipliés au Japon pour décrire et expliquer cet univers fermé de jeunes monomaniaques, passionnés de jeux vidéos, de mangas ou d'animations.
Ce qui l'est davantage, en revanche, c'est que le phénomène touche aujourd'hui les Japonaises.
"La plupart de nos clientes sont des employées de bureaux d'une vingtaine ou d'une trentaine d'années, des femmes à la mode mais normales", explique Emiko Sakamaki, qui dirige le café Edelstein, ouvert à la fin de l'année dernière.
Cette jeune femme de 27 ans, qui porte une mini-jupe sur un jean serré et des bottes montant au genou, s'est inspirée d'un de ses mangas préférés, un classique culte des années 1970 sur une romance entre garçons dans une école allemande, le pensionnat Edelstein.
Les habituées de son café partagent toutes la même passion pour ces "mangas d'amours masculines", des bandes dessinées pour femmes qui content des passions homosexuelles entre des jeunes hommes rêveurs et efféminés. Les mêmes canons guident Sakamaki lorsqu'elle recrute ses serveurs, qui devront ensuite discuter avec les clientes du café Edelstein de leur vie au pensionnat comme dans un véritable jeu de rôles.
ÉCHAPPER À LA RÉALITÉLes cafés de ce type sont depuis longtemps très populaires à Tokyo. Ils tournent souvent autour de l'imagerie des soubrettes.
Pour les sociologues, leur succès s'explique parce qu'ils permettent d'échapper un bref instant au contrôle social très prégnant et à la rigidité de la société japonaise. Une forme d'évasion, de fuite devant les réalités.
Films d'animation, jeux vidéos, mangas, accessoires: le marché destiné aux Otaku s'est élevé en 2007 à 187 milliards de yens (1,2 milliard d'euros), selon Media Create, une société d'études spécialisée dans le divertissement.
Mais un nouvel acteur est apparu sur ce marché de niche, une actrice plus exactement: l'"Otaku féminine", ou "Fujoshi" (littéralement: fille gâtée), généralement plus sociable que son homologue masculin.
L'un des traits caractéristiques des Fujoshi est précisément leur passion pour les mangas d'amours masculines. Ce qui nous ramène au café Edelstein. "Deux raisons expliquent la popularité de cet endroit: d'abord, il n'y a pas beaucoup de cafés pour femmes à Tokyo; ensuite, il y a aujourd'hui beaucoup de filles qui aiment les films d'animation et les mangas", dit Emiko Sakamaki.
Chaque mois, quelque 150 mangas et magazines spécialisés dans les amours masculines sont publiés au Japon, selon le magazine littéraire Eureka.
Les publications les plus récentes se retrouvent dans le rayon littérature féminine de la librairie Aoyama, à quelques pas du café Edelstein. Leurs couvertures rose bonbon promettent des histoires entre pop stars ou athlètes. Âmes sensibles s'abstenir. Bondage, viols collectifs de garçons: le dessin est hyper-réaliste, les scènes de sexe souvent violentes.
PLAN MARKETINGDans un récent éditorial publié par le Yomiuri Shimbun, Kanta Ishida, journaliste spécialiste des mangas, affirmait que cette sous-catégorie de la bande dessinée offrait aussi une alternative à la répartition traditionnelle des rôles entre hommes et femmes au Japon.
L'attrait pour ces mangas, écrivait-il, traduit "un désir de relations où les rôles seraient interchangeables, libérés des idées figées sur les sexes".
Rencontré dans un bar de Shibuya, quartier tendance de Tokyo, Takashi Kudo, jeune homme de trente ans qui se définit lui-même comme un Otaku, a sa propre théorie. "Les Otaku sont devenus un marché énorme, mais ce genre de marché a des limites. Alors les entreprises de marketing se sont demandées ce qu'elles pourraient faire ensuite. Et elles ont découvert que les 'Fujoshi' pouvaient aussi être un gros marché", dit-il.
Emiko Sakamaki réfléchit elle à un nouveau projet, un café inspiré du Japon des années 1920 qui épousera parfaitement une autre tendance lourde de la jeunesse japonaise: la nostalgie du Japon d'avant-guerre.
version française Henri-Pierre André
source : http://www.lepoint.fr/actualites-monde/le-phenomene-otaku-touche-a-leur-tour-les-japonaises/924/0/230217
article sur un livre qui parle du phénomène "otaku" ici :
http://cecropia.mabulle.com/index.php/2007/04/21/58103-otaku-les-enfants-du-virtuel